Le stockage de l'électricité représente un enjeu majeur pour la transition énergétique et l'intégration des énergies renouvelables intermittentes. Alors que les batteries lithium-ion dominent actuellement le marché, de nombreuses technologies alternatives émergent pour stocker l'énergie électrique sans recourir aux accumulateurs conventionnels. Ces solutions innovantes offrent de nouvelles perspectives pour gérer les fluctuations de production et de consommation sur les réseaux électriques. Explorons les principes et les applications concrètes du stockage d'électricité sans batterie, ainsi que leurs avantages et limites par rapport aux technologies électrochimiques classiques.
Principes physiques du stockage d'énergie sans batterie
Le stockage d'électricité sans batterie repose sur la conversion de l'énergie électrique sous d'autres formes, comme l'énergie mécanique, thermique ou chimique. Ces transformations permettent de conserver l'énergie sur des durées plus ou moins longues avant de la reconvertir en électricité selon les besoins. Les principaux mécanismes physiques mis en œuvre sont :
- La conversion en énergie cinétique ou potentielle
- Le stockage sous forme de chaleur ou de froid
- La transformation en composés chimiques énergétiques
Contrairement aux batteries qui stockent directement des charges électriques, ces procédés alternatifs nécessitent des étapes de conversion intermédiaires. Cela implique généralement des rendements plus faibles, mais offre l'avantage de s'affranchir des limitations des accumulateurs électrochimiques en termes de durée de vie ou de matériaux critiques.
L' énergie mécanique représente une forme particulièrement intéressante pour stocker de grandes quantités d'électricité sur des périodes allant de quelques minutes à plusieurs heures. Elle peut être emmagasinée sous forme d'énergie cinétique dans des masses en rotation ou d'énergie potentielle dans des fluides comprimés ou des masses surélevées.
Technologies de stockage mécanique de l'électricité
Parmi les solutions de stockage mécanique les plus prometteuses, on trouve notamment les volants d'inertie, le stockage par air comprimé, les stations de pompage-turbinage hydraulique et le stockage gravitaire. Ces technologies présentent l'avantage de pouvoir absorber et restituer rapidement de grandes quantités d'énergie, ce qui les rend particulièrement adaptées pour la régulation des réseaux électriques.
Volants d'inertie : conversion cinétique par beacon power
Les volants d'inertie sont des dispositifs qui stockent l'énergie sous forme cinétique dans une masse tournante. Lorsqu'il y a un surplus d'électricité, un moteur électrique accélère la rotation du volant. Pour restituer l'énergie, ce même moteur fonctionne en générateur et ralentit le volant. La société américaine Beacon Power a développé des volants d'inertie haute performance capables de fournir jusqu'à 20 MW de puissance pendant 15 minutes.
Ces systèmes offrent une réponse très rapide et peuvent effectuer des milliers de cycles charge/décharge sans dégradation. Ils sont particulièrement adaptés pour lisser les variations de fréquence sur le réseau électrique à l'échelle de quelques minutes. Cependant, leur capacité de stockage reste limitée pour des applications de longue durée.
Stockage par air comprimé (CAES) : l'exemple d'hydrostor
Le stockage par air comprimé consiste à utiliser l'électricité excédentaire pour comprimer de l'air dans des cavités souterraines. Lorsque la demande augmente, cet air est détendu pour entraîner des turbines et produire de l'électricité. La start-up canadienne Hydrostor a développé une technologie innovante de CAES adiabatique qui récupère la chaleur de compression pour améliorer le rendement du système.
Cette solution permet de stocker de grandes quantités d'énergie sur de longues durées, de l'ordre de plusieurs heures à quelques jours. Elle est particulièrement intéressante pour gérer l'intermittence des énergies renouvelables à l'échelle d'un réseau électrique. Toutefois, elle nécessite des sites géologiques adaptés pour le stockage de l'air comprimé.
Pompage-turbinage hydraulique : le cas de Grand'Maison
Les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) utilisent l'énergie potentielle de l'eau entre deux réservoirs à des altitudes différentes. En période de surplus, l'eau est pompée du bassin inférieur vers le bassin supérieur. Lors des pics de consommation, elle est turbinée dans l'autre sens pour produire de l'électricité. La centrale de Grand'Maison dans les Alpes françaises est un exemple emblématique de cette technologie avec une puissance de 1800 MW.
Le pompage-turbinage offre d'excellentes performances en termes de capacité et de rendement, mais nécessite des sites appropriés avec un important dénivelé. C'est actuellement la technologie de stockage d'électricité la plus mature et la plus déployée à grande échelle dans le monde.
Stockage gravitaire : le concept energy vault
La start-up suisse Energy Vault a développé un concept original de stockage gravitaire utilisant des blocs de béton. L'excédent d'électricité sert à empiler ces blocs à l'aide de grues, stockant ainsi de l'énergie potentielle. Pour restituer l'électricité, les blocs sont redescendus en entraînant des générateurs. Ce système modulaire peut stocker jusqu'à 35 MWh d'énergie.
Cette approche novatrice présente l'avantage de pouvoir être déployée rapidement sans contrainte géographique majeure. Cependant, son efficacité énergétique et sa compétitivité économique restent encore à démontrer à grande échelle par rapport aux autres technologies de stockage.
Stockage thermique de l'électricité
Le stockage thermique permet de conserver l'énergie sous forme de chaleur ou de froid, avant de la reconvertir en électricité. Ces technologies offrent généralement de grandes capacités de stockage sur de longues durées, mais avec des rendements plus faibles que le stockage mécanique. Elles sont particulièrement intéressantes pour valoriser la chaleur fatale industrielle ou l'énergie solaire thermique.
Accumulateurs de chaleur : la technologie siemens gamesa ETES
Siemens Gamesa a développé un système de stockage thermique électrique baptisé ETES (Electric Thermal Energy Storage). Il utilise l'électricité excédentaire pour chauffer des roches volcaniques à plus de 600°C. Cette chaleur peut ensuite être reconvertie en électricité via un cycle thermodynamique lorsque la demande augmente. Un démonstrateur de 130 MWh a été mis en service à Hambourg en 2019.
Cette technologie permet de stocker de grandes quantités d'énergie sur plusieurs jours, avec un rendement d'environ 45%. Elle présente l'avantage d'utiliser des matériaux abondants et peu coûteux. Son déploiement à grande échelle pourrait contribuer à l'intégration massive des énergies renouvelables sur les réseaux électriques.
Stockage cryogénique : le procédé highview power CRYOBattery
Le stockage cryogénique consiste à utiliser l'électricité pour liquéfier de l'air à très basse température (-196°C). Lorsque la demande augmente, cet air liquide est réchauffé et détendu pour entraîner des turbines. La société britannique Highview Power a développé cette technologie baptisée CRYOBattery, capable de stocker jusqu'à 200 MWh d'énergie.
Ce procédé offre une grande capacité de stockage sur de longues durées, avec un rendement d'environ 60%. Il présente l'avantage de pouvoir être déployé n'importe où, sans contrainte géographique. Cependant, la complexité du système et les coûts d'investissement élevés limitent encore son déploiement à grande échelle.
Centrales solaires thermodynamiques : gemasolar en espagne
Les centrales solaires à concentration permettent de stocker directement l'énergie solaire sous forme de chaleur dans des sels fondus. Cette chaleur peut ensuite être utilisée pour produire de l'électricité même en l'absence de soleil. La centrale Gemasolar en Espagne utilise cette technologie pour fournir une puissance de 20 MW avec jusqu'à 15 heures de stockage.
Ce type de centrale offre l'avantage de produire une électricité renouvelable dispatchable , c'est-à-dire pilotable selon la demande. Cependant, elle nécessite des conditions d'ensoleillement élevées et reste moins compétitive que le photovoltaïque dans de nombreuses régions.
Stockage chimique sans batterie conventionnelle
Le stockage chimique consiste à transformer l'électricité en composés énergétiques comme l'hydrogène ou le méthane. Ces vecteurs peuvent ensuite être reconvertis en électricité ou utilisés directement pour d'autres applications. Ces technologies offrent des capacités de stockage massives sur de très longues durées, mais avec des rendements plus faibles que les autres formes de stockage.
Production d'hydrogène par électrolyse : projet MYRTE en corse
L'électrolyse de l'eau permet de produire de l'hydrogène à partir d'électricité renouvelable excédentaire. Cet hydrogène peut ensuite être reconverti en électricité via une pile à combustible. Le projet MYRTE en Corse utilise cette technologie pour stocker l'énergie solaire, avec une capacité de 3 MWh.
Le stockage par hydrogène offre une très grande flexibilité d'usage et permet de découpler totalement la production et la consommation d'énergie. Cependant, le rendement global reste limité à environ 30-40% en raison des multiples conversions. Son développement à grande échelle nécessite encore des progrès technologiques et économiques.
Méthanation : le démonstrateur jupiter 1000 à Fos-sur-Mer
La méthanation consiste à combiner l'hydrogène produit par électrolyse avec du CO2 pour synthétiser du méthane de synthèse. Ce power-to-gas permet de valoriser les surplus d'électricité renouvelable en produisant un gaz injectable dans les réseaux existants. Le projet Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer expérimente cette technologie à l'échelle industrielle.
Cette approche présente l'avantage de pouvoir utiliser les infrastructures gazières existantes pour le stockage et le transport de l'énergie. Cependant, le rendement global reste faible (environ 30%) et la disponibilité de sources de CO2 peut être limitante pour un déploiement massif.
Supercondensateurs : applications dans le transport ferroviaire
Les supercondensateurs sont des dispositifs de stockage électrostatique capables de délivrer de fortes puissances sur de courtes durées. Ils sont notamment utilisés dans le transport ferroviaire pour récupérer l'énergie de freinage des trains et la restituer lors des accélérations. La SNCF expérimente cette technologie sur certaines lignes régionales.
Ces systèmes offrent une excellente cyclabilité et des temps de réponse très courts, ce qui les rend complémentaires des batteries pour certaines applications. Cependant, leur densité énergétique reste limitée pour du stockage de longue durée.
Défis techniques et perspectives d'avenir
Le développement des technologies de stockage d'électricité sans batterie soulève plusieurs défis techniques et économiques. Leur déploiement à grande échelle nécessite encore des progrès en termes de rendement, de coûts et d'intégration aux réseaux électriques.
Rendement énergétique des systèmes de stockage alternatifs
Le rendement global des technologies de stockage sans batterie reste généralement inférieur à celui des accumulateurs électrochimiques. Les multiples conversions d'énergie entraînent des pertes à chaque étape. Améliorer l'efficacité de ces systèmes est un enjeu majeur pour leur compétitivité future.
"L'augmentation des rendements de conversion et la réduction des pertes thermiques sont des axes de recherche prioritaires pour les technologies de stockage alternatives."
Des progrès sont notamment attendus dans l'optimisation des cycles thermodynamiques, la récupération de chaleur fatale et le développement de nouveaux matériaux plus performants. L'objectif est d'atteindre des rendements supérieurs à 70% pour les systèmes les plus matures.
Intégration aux réseaux électriques intelligents
Le déploiement massif de capacités de stockage nécessite une gestion intelligente de leur fonctionnement en lien avec les réseaux électriques. Le développement des smart grids et des outils de pilotage avancés est essentiel pour optimiser l'utilisation de ces ressources flexibles.
L'agrégation de multiples systèmes de stockage distribués permettra de fournir des services système à l'échelle du réseau, comme la régulation de fréquence ou la gestion des congestions. Cela implique la mise en place de nouveaux modèles économiques et réglementaires pour valoriser ces services.
Coûts et durabilité comparés aux batteries lithium-ion
La compétitivité économique des technologies de stockage alternatives par rapport aux batteries lithium-ion reste un enjeu majeur. Si certaines solutions comme le pompage-turbinage sont déjà matures, d'autres nécessitent encore des économies d'échelle pour réduire leurs coûts.
Technologie | Coût actuel (€/kWh) | Durée de vie (cycles) |
---|---|---|
Batteries Li-ion | 200-300 | 1000-5000 |
Les technologies de stockage alternatives présentent généralement des durées de vie plus longues que les batteries lithium-ion, ce qui peut compenser des coûts initiaux plus élevés sur le long terme. L'analyse du coût total de possession sur l'ensemble du cycle de vie est donc essentielle pour comparer ces différentes solutions.
Par ailleurs, l'impact environnemental et la disponibilité des matériaux critiques sont des critères de plus en plus importants dans le choix des technologies de stockage. Les solutions sans batterie offrent souvent l'avantage d'utiliser des matériaux plus abondants et moins polluants que le lithium ou le cobalt.
"Le développement de technologies de stockage durables et économiquement viables est crucial pour accélérer la transition vers un système électrique 100% renouvelable."
En conclusion, les technologies de stockage d'électricité sans batterie offrent des perspectives prometteuses pour accompagner le déploiement massif des énergies renouvelables intermittentes. Si certaines solutions comme le pompage-turbinage sont déjà matures, d'autres comme le stockage thermique ou l'hydrogène nécessitent encore des progrès pour être pleinement compétitives. La diversité de ces technologies permet d'envisager un mix de solutions adaptées aux différents besoins des réseaux électriques, en complément des batteries conventionnelles.
Les années à venir seront cruciales pour lever les verrous technologiques et économiques qui freinent encore le déploiement à grande échelle de ces solutions innovantes. Leur développement ouvre la voie à un système électrique plus flexible, résilient et décarboné.